jeudi 7 juin 2007

Mibladen, souvenirs d'Ikhlef (2).

Il revoit la caravane de ravitaillement, à dos de mulet, traversant les crêtes rocheuses, allant de Mibladen à Aouli, en période de violentes crues de l’oued Moulouya. La « solidarité et la générosité des gens, faisaient que les sinistrés, n’avaient jamais souffert ni de faim ni du froid » Alors que la crue de la veille à Midelt, en dépit des dégâts matériels importants qu’elle a causés, n’a selon El Beldi, mobilisé personne.
Il se revoit dans la terrasse de la guinguette de Mibladen, devant sa tasse de café, en face du décor fantastique de Jbel El Ayachi et Moaskar enneigés, sous un soleil éclatant. Un enchantement. Il revoit le grand Ahidous, célébré à l’occasion de l’indépendance où les ouvriers Ait Izdeg, Ait Seghrouchen, Ait Ouefella, Bni Mguild, Ouled Khaoua et les Filalas, dansant chacun au rythme de sa tribu. C’était très beau.
Le poids des souvenirs l’entraîne à la période de son militantisme. Le travail syndical, était très dur. Les ouvriers ne savaient même pas qu’ils étaient rabaissés et froissés. Ils ne se rendaient pas compte de l’asservissement qui était le leur. Leur seule préoccupation était le pain quotidien.
Ikhlef et ses cinq camarades syndicalistes trouvaient du mal à rallier les membres influants des tribus composants les ouvriers. A la mine, il y avait la kabalia (tribalisme). S’ils n’avaient pas leur accord à tous, la grève pour l’amélioration des conditions de vie des ouvriers n’aurait pas eu lieu. Il tire sur son mégot et se dit : « était il folie d’entrainer les ouvriers pour quelque chose qu’ils ne demandaient pas ? »
Ikhlef est fier de tout ce qu’il a fait.
La grève a eu lieu. Il avait immobilisé les deux mines pendant plusieurs jours, mais rien n’avait été amélioré.
La pension que l’assurance de la mine verse aujourd’hui à Ikhlef est insignifiante : le voici condamné à vivre misérablement sur une chaise roulante. Heureusement qu’il est entouré de sa femme et de sa fille qui le couvrent de tout leur amour. …
… Ikhlef se souvient encore et toujours de ses amis fauchés au cours des accidents de travail ou par l’ignoble maladie professionnelle : la silicose. Il tire sur son dernier mégot, laisse s’échapper la fumée noire et se dit : « triste époque que celle d’aujourd’hui ! Mon Dieu, où sont passés les vrais amis, où sont passés les lièvres et les perdrix qui se comptaient en grand nombre dans la région de Midelt et où sont passées les pluies et les neiges d’antan ? »
Il consulte sa montre et sursaute en s’apercevant qu’il est cinq heures du matin. Cette « crise de nostalgie » a embrumé son cerveau. Il s’affale sur son lit.
Extrait de "Hadhoum" publié en 2004 par Mohamed Mouhib.

2 commentaires:

Pas a pas a dit…

je suis pret a voir votre personnage dans sa chaise roulante tant je reconnais le lieu
les perdrix,les lievres,la chaleur et la neige
merci pour ces passages
il me tarde de lire le reste
avez vous bien recu mon adresse?
patrick

Dr Mouhib Mohamed a dit…

Merci de votre passage et de vos commentaires fructueux.
j'ai bien reçu votre adresse, le livre vous sera adressé très prochainement.
M.Mouhib.