jeudi 14 juin 2007

La nuit sous l'arbre Saint de Sidi Yahya.


Tandis que les bavardages allaient bon train, la vieille femme Hmouna avança la bouche vers l’oreille de Mahjouba, et lui chuchota : « et pour que l’union de votre couple dure il faut que vous passiez , ton mari et toi, une nuit entière sous l’arbre marabout , protégé par le saint Sidi Yahya ».
Elle lui indiqua le lieu où se trouve l’arbre. …
Par un splendide après midi de printemps, un beau soleil baignait dans le ciel bleu. L’air était d’une pureté et d’une fraîcheur extraordinaires. Sur le dos de leur mulet, Mahjouba et Lafdil sentirent une brise effleurer leurs visages. En pensant à la nuit qu’elle allait passer avec son époux, sous l’arbre marabout de Sidi Yahya, Mahjouba se sentait submergée d’une sensation de bien être et de joie. « C’est la baraka du saint qui me procure cette euphorie, se disait elle intérieurement ».
Tournant le dos à leurs tentes, ils empruntèrent un itinéraire fort pittoresque qui suit le cours supérieur de la rivière(aqqa), traversant l’alpage. Le chemin muletier continuait sans problème, à travers les forets de cèdre et de chêne vert. Mahjouba, serrée contre Lefdil, fredonnait les Izlène. A la tombée de la nuit, ils arrivèrent enfin au pied de l’arbre de Sidi Yahya. C’était un beau chêne gigantesque. Plusieurs fois centenaire , isolé sur une colline surplombant le village du Saint. La légende raconte que le Marabout et son épouse préférée Lalla Rkia, venaient s’isoler de leur vivant, sous l’arbre désormais béni.
Au moment où Lefdil s’occupait du mulet , Mahjouba faisait le tour de l’arbre Saint en répétant à voix haute : « défends notre couple du mauvais œil, oh arbre du Saint. Teslim. » Elle alluma alors le feu de bois sec dans le canoun mis à la disposition des visiteurs . Elle y brula une fumigation (bkhour) fait de chebba(Alun) de jaoui(Benjoin) et du Harmal. Ces fumigations selon Hmouna étaient sensées détruire les mauvaises influences.
La lune se cachait derrière un mince rideau de nuages et subitement tout s’obscurcit aux alentours. La fraicheur de la nuit se faisait plus vive. Le couple commençait à avoir froid. Les nuages s’étaient dispersés et le clair de lune réapparut. Lefdil ajouta quelques branches de genévrier dans le canoun. Mahjouba étala la couverture de laine (haddoun) ; et avant de s’allonger ils mangèrent leur repas fait de pain et de lait caillé(Klila). C’était succulent.
Autour d’eux il n’y avait que le silence, Le silence impressionnant de la haute montagne. Le plus léger bruit, une feuille qui tombe, le crépitement du feu, résonnait étrangement.
- Je suis sûr que tu n’as pas peur ! murmura Lefdil à Mahjouba.
- Je me sens comme dans un rêve, je n’arrive pas à exprimer ce que je ressens ; et d’une voix plus basse : non je n’ai pas peur.
Le lendemain, les premiers rayons du soleil réveillèrent le couple. Mahjouba leva les yeux doucement vers le ciel à travers le feuillage vert . Cette couleur était le message d’une vie sans embûches.
Lefdil prit le bras de Mahjouba et lui murmura, tout heureux, d’une voix douce : « la vie dans l’alpage, m’a appris beaucoup de choses sur le comportement humain, j’ai constaté que les Imeksaounes(bergers) ne battent pas leurs femmes .
Alors qu’à Abou Aâlam , mon père et mes frères, pour un oui ou un non, battaient leurs épouses . Je te promets, sous cet arbre sacré, que Dieu nous donne de sa baraka (bénédiction) que je ne lèverai jamais la main sur toi. »
Mahjouba se sentait touchée. Elle avait plaisir à écouter ses bonnes paroles en regardant un ciel bleu sans nuages. Les paroles qu’avait employées Lefdil, et plus encore le ton sur lequel il les avait prononcées, émurent profondément Mahjouba. Elle ne pouvait imaginer que son mari qui était jusque là autiste sur ses sentiments, lui parlerait un jour de la sorte.
Pour elle, ce qu’il venait de lui dire était une déclaration d’amour, un véritable amour (Teyri M’Izourane).
Et elle se disait que la nuit sous l’arbre de Sidi Yahya, n’était pas inutile ; elle commençait à donner ses fruits. Merci Hmouna !
Extrait tiré du roman "Hadhoum", publié par M.Mouhib en 2004.

7 commentaires:

Pas a pas a dit…

bravo pour ces quelques lignes ecrites comme une legende
patrick

Dr Mouhib Mohamed a dit…

merci pour vos encouragements.
Le livre a été posté le 12/06/07.
à la prochaine.

la vie a dit…

Salut Dr, vraiment c'est extrat tous les beaux sujets.
Bonne courage

Dr Mouhib Mohamed a dit…

merci de votre passage et de votre commentaire très encourageant.
M.Mouhib.

taai a dit…

cccc

taai a dit…

lors de notre entrevue je vous ai proposé un autre titre à votre beau livre HADHOUM "l'alternance avortée".on voit que vous avez décrits nos traditions avec précision.de meme on peut flairer dans le récit un pêu l'histoire de notre ville délaissée à son destin.

Dr Mouhib Mohamed a dit…

votre proposition est la bienvenue
Mr Taai; une bonne partie du roman parle effectivement de l' alternance manquee.
Je vous remercie pour votre passage,pour vos commentaires sympathiques .




encouragements