lundi 10 septembre 2007

Moha Ou Chrif (3)- Par Dr Maxime Rousselle.





Moha Ou Chrif est rebouteux. Rebouteux officieux de la Haute Moulouya depuis plus de cinquante ans. C’est en somme mon concurrent direct. J’ai entendu dire beaucoup de bien de ses interventions dans les fractures de membres.
Il serait ridicule de le contrer, pourquoi pas, même, de le poursuivre pour exercice illégal de la médecine ? Tentons plutôt de collaborer.
Nous entrons tous dans une petite pièce, sans ouverture, éclairée seulement par quelques bougies posées sur un demi meule en pierre. Contre un mur, une vieille femme assise, sur un tapis, serrant contre sa poitrine la tête d’un garçonnet de sept à huit ans, allongé entre ses jambes. L’enfant, l’air effrayé, se cache tant qu’il peut sous la couverture.
Moha Ou Cherif avec beaucoup de douceur mais aussi d’autorité s’approche de l’enfant :
-Ourt ou guid, n’aie pas peur, c’est le toubib d’Itzer qui vient te voir.

La jambre blessée est prise dans une attelle en roseaux.
L’attelle dépasse largement au dessus du genou et au dessous du talon. le tout a de l’allure et fait très sérieux.
A un interrogatoire poussé on m’assure qu’il n’a eu ni plaie ni sang répandu. Donc pas de fracture ouverte.
Dans le fond, je me suis déplacé pour peu de chose, mais je ne le regrette pas. Ce n’est pas l’avis de Moulay Idriss qui bougonne et trouve que je prends les choses beaucoup trop « simplement » .
-Vous allez voir, maintenant, ils vont vous appeler pour rien du tout…
-Je m’en fiche. Nous sommes payés pour cela. Si vous ne vouliez pas être dérangé la nuit il fallait vous faire soukier et vendre du ras-el-hanout. Demandez à Moha quel était l’os cassé ?
-Les deux étaient cassés, la jambe était toute tordue.
-Comment a-t-il fait pour remettre droite ?
Le vieillard explique simplement.
-Le père de l’enfant était assis sur le sol, tenant son fils serré, devant lui, entre ses jambes . J’ai tiré sur la jambe jusqu’à ce que je sente les os s’accrocher. A ce moment la jambe blessée reprend la même longueur que l’autre. C’est facile. Alors je mets la laine autour puis l’appareil.
-As-tu beaucoup d’appareils comme celui-ci ?
-Non, je les fabrique au fur et à mesure, sur les dimensions des blessés.

Il est maintenant près de trois heures du matin. J’aurais bien d’autres questions à poser à Moha, mais les femmes ont préparé le thé, un peu de miel et du pain.
-Si tu veux, tu peux rester dormir ici…
-D’accord.
Aussitôt les femmes se mettent en branle, apportant couvertures, tapis. La seule restée là est la vieille berçant l’enfant qui n’a plus du tout envie de dormir, essaie au contraire d’attirer l’attention. N’est il pas le héros de la journée. Nous les hommes, nous sirotons le thé, en parlant. J’en apprends un peu plus sur notre rebouteux.
Quand un membre est cassé, dans un rayon de cinquante kilomètres à la ronde, c’est lui qu’on appelle.
Quel age peut bien avoir ce vieillard sec et vigoureux ? On le questionnant je ne peux rien obtenir de précis. Le passé, pour lui comme pour la plupart des gens du bled est un brouillard chronologique confus. Deux ans ou vingt ans, c’est tout pareil, c’est « bekri ».
Autrefois, jadis.
Quand les français sont venus en Moulouya en 1917, était il jeune ?
-J’étais déjà vieil homme.
- Mais que veut dire vieux ? Quarante ou soixante ans ? Il faut remonter plus loin dans le temps…. .
-As-tu entendu parler de l’amhala de Moulay Hassan au Tafilalt en 1894 ?
-Oui, très bien, mon père me disait même que j’étais né l’année où il est devenu sultan du maghreb. Donc Moha Ou Chrif est né en 1873. Il a donc aujourd’hui, en 1953, 80 printemps. Certes, il a l’air d’un vieillard, mais à voir son mollet ferme et sa jambe nerveuse, son extraordinaire résistance physique , on ne le croirait pas aussi âgé. Il ne se déplace jamais qu’à pied. Et aujourd’hui, il est venu assez vite, dit il, d’Aghbalou n’serdan à krouchen, en quelques heures de marche.(25 km).
-Comment vit il ? On ne lui connaît plus aucune famille, ni aucun domicile fixe.
-La qbila (tribu) est ma famille. je suis chez moi partout. Aussi bien chez les Ait Ihand que chez les Ait Massoud ou ailleurs. Moulay me confirme qu’il ne demande jamais le moindre salaire, mais lorsqu’il quitte une famille, on lui met toujours des provisions et souvent un cadeau dans sa musette.

12 commentaires:

Majid Blal a dit…

Bonjour Doc.
J,ai vécu à Tounfite de 1960 à 1966 et certainement ce docteur venait donner un coup de main`au vrai docteur qui était l,infirmier ALI OU DBIB que dieu ait son âme. Mias en parlant de la medecine traditionnelle, je me souviens aussi d,un stratageme qu,on m,avait fait pour m'enmener chez aicha l,mekki à midelt en vue d"Assoud" avec l"Emtek" Cette baguette qui devrait servir à enfiler les brochettes mais qui a voltiger rougeoyante pour piquer à chaud cette maladie qu'on appelait "Tassa" mais qui n.était que la réaction de l,émotivité d,un enfant qui a peur et qui cache sa joue de la prochaine chataigne. Il faut bien en rire.

Pas a pas a dit…

bonjour dr mouhib
quelle passionante vie et si bien racontée
je regrette de ne pouvoit trouver le livre du docteur roussel en france
continuez ,j'eprouve un grand plaisir, je m'y vois, j'y suis
patrick

Dr Mouhib Mohamed a dit…

Bonjour Majid, j'ai connu Ali Ou Dbib en 81-82,à mon arrivée à Midelt.C'était un aide soignant polyvalent comme on en rencontre plus. Il avait appris sur le tas surtout avec Dr M.Rousselle, entre 49 et 53.
Tu as décrit fidèlement la technique de pointe de feu .
Merci pour ton passage, et pour tes touches d'humour.
Amitiés.

Dr Mouhib Mohamed a dit…

Bonjour Patrick,
Nous nous rencontrons dans cette passion pour la nostalgie des années 50-60 du Maroc.
C'est un réel plaisir d'échanger avec vous. Je vous ai répondu dans le post précédent à propos du livre de M.Rousselle.
Amitiés.

Pas a pas a dit…

bonjour de mouhib
j'ai lu votre reponse sur votre precedent spot
nous aurons beaucoup de choses a se dire et a faire quand je serai a midelt
voyage que je commencerai a organiser vers octobre novembre
amities
patrick

S.Abdelmoumène a dit…

Re bonsoir Docteur,

Depuis que j'ai mis en service ce blog, j'ai pris sur moi de visiter systématiquement le tien et celui de patrick. D'abord on y trouve toujours du nouveau et ensuite les sujets abordés sont forts intéressants.
Cette notion de la médecine, transmise de père en fils et qui bon gré mal gré a démontré souvent ses bienfaits, décrite par le DR Rousselle avec beaucoup de respect, est à mon avis le meilleur argument pour que les rebouteux comme Moha Ou Chrif soient reconnus et considérés.

Dr Mouhib Mohamed a dit…

pour Patrick vivement midelt mai 2008.salut

Dr Mouhib Mohamed a dit…

bonjour Salah,il etait effectivement question que la medecine moderne rehabilte les tradipraticiens et les kabla apres un petit recyclage .le projet est tombe àl'eau ,toujour est il que la medecine moderne n'a pas supplanté la medecine moderne au Maroc loin s'en faut puisque les 2/3 de nos enfants arrivent au monde dans les mains des kablas.amities

Unknown a dit…

Le Docteur Rousselle est toujours TALENCE France. Je peux vous donner son N° de téléphone pour le cas ou ...
mon email : rogvisse@numericable.fr

et... Bravo Docteur Mouhib.

Unknown a dit…

La gare de Midelt se trouve toujours dans la caserne militaire du coté sud et visible même de l'exterieur de la caserne. Elle est encore dans un etat de conservation surprenant. Cette gare a été construite aux environs de 1921, lorsque les voies routières n'étaient pas sécurisées, et qu'il a fallu construire une autre issue pour les besoins militaire et économiques du protectorat. Elle reliait Midelt à Guerssif sur une longueur de 400 km. Elle a servi au transport de materiel militaire en premier puis pour le besoin de construction des centrales éléctriques de flilou et les laveries de minerais de Mibladen et Ahouli. Ce materiel transitait par Oran (Algerie) puis Oujda et Guerssif. Elle servait aussi pour le transport, sens inverse des minerais extraits. Vu la complexité geographique de la région, le voyage durait environ 2 jours. Vers la fin des années 30, aprés la pacification de la région et la construction des la route, la voies ferrées a été abondonnée et les rails ont été vendus. Un tronçon est toujours visible au sud de la caserne, entre midelt et hotel Asmaa avec deux petits ponts qui sont toujours en place.

Dr Mouhib Mohamed a dit…

Bonjour Roger ?tu nous a manqué cette annee ,nous esperons vous revoir l'annee prochaine .Par ailleur j' aimerai bien avoir les coordonnées du Dr M.Rousselle ce grand Monsieur qui a laisse son empreinte dans la region ,son bouquin "le toubib du bled" est introuvable au Maroc., pouvez vous m'indiquer ou je peux me le procurer.Merci pour votre passage et vos encouragements.amitiés

rousselle.max1 a dit…

Très touché par tout ce qui est dit ici. Grand merci en particulier au Dr MOUHIB de Midelt.
J'ai laissé une partie de moi-même dans la région(Tounfite, Itzer Midelt...)
Pour mon modeste bouquin vous le trouverez à la Librairie Chatr, 19, avenue Mohammed V au Guéliz à Marrakech (Tel 024 44 79 97 /024 44 89 01
E-mail librairie-chatr@menara.ma)
Amical souvenir à tous d'un Beni M'Guild d'adoption.
Salam.