vendredi 17 août 2007

Hommage rendu à Ïwazzin par Mohamed Akoujan.



Je suis particulièrement heureux de publier sur echomidelt un extrait d'un paragraphe que le grand ecrivain Mohamed Akoujan a consacré à une dame de l'Atlas que l'histoire a encore oublié.
"Iwezzine était une poétesse de renommée. Elle avait plus de valeur que bien des hommes riches et influents. Lorsque le courage manquait à beaucoup d’hommes pour faire valoir leur force virile, Iwezzine, elle, alliait son courage et son intelligence à sa volonté de fer. Elle s’imposait au nez et à la barbe de la gent masculine.
Elle tenait bien son intérieur et vaquait aux multiples tâches exigées par sa condition de femme. Elle tissait tapis, jellabas, burnous et timizarine. Mais lorsqu’il fallait se battre, elle maniait les armes avec dextérité. Elle tenait un élevage prospère de beaux ovins et traitait les affaires au souk avec brio.
La jeune femme était d’une beauté rare. Son nom signifiait d’ailleurs « grande beauté », et elle le portait bien. Elle avait du caractère. Elle tenait la dragée bien haute aux plus futés des hommes.
Les Caïds et les personnes en vue appréciaient sa compagnie. Ils l’invitaient immanquablement pour rehausser une occasion publique, une réception privée ou une fête familiale. Elle se surpassait alors en prose et en poésie improvisées… Plutôt non, jamais improvisées car, tel un prodige, les mots et les rimes coulaient comme de l’eau de source, parfaits et limpides, de la double matrice de sa tête et de sa bouche. Ses compositions, formées avec aisance et précision, portaient le sens juste et profond qu’elle voulait leur donner. Elles obéissaient à sa pensée. Elles l’exprimaient sans faille. Son auditoire, à chaque fois, se mettait en extase.
En guise de verbe, elle avait la gâchette facile et le mot bien à-propos. Elle clouait au pilori quiconque se hasardait à la taquiner par un sous-entendu ou par un vers d’izlane (chants). Les chefs d’ahidouss (formation folklorique), avec leur tamesmount (chœur), venaient chercher l’inspiration auprès d’elle pour composer leurs mélopées à l’approche d’une fête où ils devaient se produire.
Elle aimait recevoir chez elle. Mais l’exclusivité de son hospitalité était réservée aux gens de son ighess (fraction de tribu), la veille et le jour du souk et aux grandes occasions.
Elle agrémentait les moments de loisirs des Caïds qui l’écoutaient et la regardaient avec délice, charmés par ses atours et ses nombreux dons, et ceux du bon peuple qui avait sur les lèvres ses belles tiyafrine (strophes). Les gens meublaient leur temps en racontant les exploits de la jeune femme.
Ainsi, Iwazzine avait ses entrées et sorties auprès des familles en vue et des hommes influents. Tous l’enviaient. Mais personne n’osait demander sa main. Ce serait une bonne raison pour éveiller des rivalités et déclencher une guerre interminable ! Iwazzine en était consciente et elle ne s’aventurait jamais à étaler au grand jour ses attirances.
Le petit peuple la redoutait et l’aimait en même temps. Elle jouait un rôle de premier plan sur les fronts de la résistance culturelle, à défaut de la résistance par les armes, qui s’amenuisait de plus en plus. Elle constituait à elle seule un solide rempart de protection à l’identité de sa tribu et des siens.
Iwazzine avait aussi la considération des autorités coloniales. Elles avaient de l’admiration pour cette femme d’un autre temps ! Elles l’honoraient à l’occasion et lui laissaient la liberté de s’exprimer, tant que ses dires ne dénigraient pas de façon flagrante l’occupation et son système.
Ainsi, la renommée de Iwazzine ne tarda pas à dépasser les limites de sa tribu..."
C'était une femme des Ait Sokhman...
Le Portrait est celui d'une femme de l'Atlas.

10 commentaires:

AKOUJANE a dit…

Cher Si Mohamed, à la lecture de cet article lié à mon nom, la fierté du montagnard que je suis, qui s'est émoussée depuis belle lurette, s'est mise à bouger comme un appel des sens ou une graine en hibernation, que le printemps surprend dans sa léthargie...
Le passé culturel des Atlas marocains, si riche et si volatile à la fois, ne se manifeste guère de notre temps, que dans la majesté de ces montagnes encore debout... et des vestiges d'édifices friables parce que de pisé, marquant leur passage dans le Temps par la présence, çà et là, d'innombrables tumulus. Mais les hommes... comme le disait Akoray, le grand poète de Tounfit: ammanou ammanou alqomm a n'kher zzaman!!
La "maya" (lmayth) est inventée par les femmes berbères et les hommes ont inventé "le bendir" (tallount). Ce sont là, comme étaient le blues et je jazz pour les afro américains, des instruments pour crier la joie, le désarroi, les heurs et les malheurs. Bien plus encore...
merci pour cet hommage à Ïwazzine, et à travers elle, à toutes les femmes de l'Atlas.
Îwazzine, quelques personnes à Aghbala se rappellent encore ses exploits et de quelques une de ses Tiyefrine et Izlane.
Cher Si Mohamed, j'aurais aimé t'envoyer l'ouvrage contenant cet extrait, mais je n'en ai plus une seule copie ici. Une librairie de Beni Mellal en dispose encore. Et si tu connais quelqu'un dans cette ville pour te le procurer, c'est le librairie Essaada, sur l'Avenue Hassan II. Le titre est "Le sang de l'oeil"
Merci encore pour cet article et pour m'avoir ouvert toute grande, et si généreusement, la porte de ton blog.

Majid Blal a dit…

Bonjour à vous Si Mohamed et Si Mohamed.
" En d,autres circonstances, elle aurait sûrement applaudi les exploits de son fiancé contre "les arabes". Elle,L,aurait admiré, prenant parti corps et âme pour lui. Mais ses sens avaientété bouleversés, ses nerfsmis à fleur de peau et la vérité avait jailli, pure et claire" Extrait de -Le Sang de l'Oeil. De Mohamed Akoujane.
Quelle belle verve dans le verbe et quelle belle façon de faire un roman en laissant entendre par le rythme que c,est d,abord un conteur qui prend la parole pour continuer la tradition orale.
Si Mohamed Akoujane, j,ai commencé à lire votre bouquin et souvent je m,interromps pour revenir vous saluer à travers votre photo sur la quatrieme de couverture. Tu as cette faculté de te mouvoir dans les caractères de tes personnages comme si individuellement ils te sont intimes. Et cela c,est l,art de raconter et de camper le comportement de chacun d,une main de maître. Je ne laisserais pas filer l,occasion pour saluer la parole des femmes que tu as laissé se répandre sans prétendre que tu leur a donné la parole. Cela coule dans la narration comme Lmayth parcourt les collines pour donner des frissons aux chênes et aux arbres millénaires que sont les amazighs de cette contrée si pleine d,histoires à raconter.
Iwazzine Iwazzine, mohamed t'a prêté sa plume et quelle plume pour que persiste dans notre coeur collectif un petit quelque chose essentiel de toi.
Amitiés
Majid Blal

AKOUJANE a dit…

Si Majid, mon frère. En guise de critique littéraire, c'est une couronne de lauriers qui ne sied pas à ma tête dont tu couvre mon chef. C'est si beau, et si agréable de la part de l'homme qui apprend à une "belle province" l'art de s'exprimer, lui montrant par son art de tirer la symphonie des mots et des verbes, comment sortir de la morosité de son "dialecte", oiseux et plat, qui sert à peine à exprimer des besoins primaires de primates... C'est une révolution littéraire et du sang nouveau qui gagne un sous continent dont la platitude de l'intellect à muselé les humanismes.
Touts les honneurs devraient être les tiens Si Majid. N'est-ce pas Si Mohamed? :)

Dr Mouhib Mohamed a dit…

Bonjour Si Mohamed, on dit que l'ecriture c'est l'imagination , je suis vraiment impressionné,la tienne est sans limite.
J'ai beacoup aimé l'image de la graine en hibernation et celle de la friabilité du pisée. Le dénigrement et l'ingratitude de la société vis à vis de ses créateurs ; l'acculturation que nous vivons sont illustrées métaphoriquement par ces belles citations.
Quant à la platitude que vivent certaines régions de l'occident , elle est la conséquence, à mon humble avis, de la culture abstraite qui se propage ces dernières années dans ces contrées ainsi que de l'exacerbation de l'assistanat qui fait que les jeunes ne s'aventurent et n'innovent plus.
Nous vivons une faillite culturelle et eux vivent une crise morale.
Ta participation honore le blog, j'en suis fier.
Salam,

Dr Mouhib Mohamed a dit…

re-
ma mère , qui est actuellement , chez sa soeur, pour quelques jours à Aghbala, m'a dit au téléphone qu'elle a connu Ïwazzine . Elle m'a même fredonné deux de ses izlanes; ce qui m'a fait beaucoup plaisir.
Et si son "disque dur" ne flanche pas, elle affirme que cette grande dame etait originaire de Tihuna n'aît Ouidir?
Salutations.

AKOUJANE a dit…

Salam Si Mohamed,
Je suis sûr que le "disque dur" de ton honorable maman est plus dur que tu ne penses :)
Tant qu'il subsiste encore des souvenirs des exploits de Ïwazzine, essaye de concrétiser une réalisation "immortelle" en collectant les bribes de ce qui en reste, afin de reconstituer le puzzle de son eouvre monumentale et historique. Je suis sûr qu'elle vaudra au moins celle réalisée par Euloge, l'instituteur français d'azilal, sur la poésie de Mririda.
Je serais très heureux de mettre la main à la pâte avec toi pour rendre justice à cette grande dame et à son époque, et ne pas laisser son souvenir se volatiliser comme cendre au vent.
Voilà une occasion de laisser une belle trace dans l'histoire du village qui nous a vu naître, et redessiner les vrais contours de ses valeurs perdues (allusion à ce que qu'on trouve sur Internet au sujet d'Aghbala...)
Je viens de te faire découvrir un filon... Bon courage, et qu'Allah t'assiste et donne la santé à ta maman. Transmets lui mes respects et mes salutations stp.

Dr Mouhib Mohamed a dit…

bonjour si Mohamed,message reçu 5/5.L'idee est géniale merci.salam.

Pas a pas a dit…

bonjour a tous
je me suis regalé non seulement a lire cet article mais encore plus vos commentaires et je sens le plaisir que vous avez a vous rencontrer sur le net
que cette amitié est belle
patrick

Pas a pas a dit…

bonjour Mr Mouhib et M.Akoujan
j'avais lu avec plaisir ce texte qui ressemble au commentaire d'un des articles de Mr Mouhib
j'ai eu du plaisir a encore mieux connaitre ce maroc qui m'a echappé quand j'y habitais
M.Mouhib je viens de finir "le temps des erreurs " de M.Choucri"
j'ai comandé aussi" le passé simple"
tres fameux ecrivains que Choukri et Chraibi!
Mr Akoujan avez vous un blog,si oui merci de me faire passer son adresse

merci
patrick

Dr Mouhib Mohamed a dit…

Bonjour Patrick, c'est vrai que c'est un régal de lire les deux bonnes plumes Si Mohamed Akoujan et Majid Blal,comme c'est un régal de vous lire chaque semaine..
Je suis heureux de la tournure qu'a pris ce blog. Cela me fait grand plaisir que les deux auteurs Choukri et Chraibi vous plaisent.
Mr Akoujan vous a laissé les liens de ses blogs dans un poste précédent.
Merci de votre passage.
Amitiés.