Médecine traditionnelle pré-coloniale
Les
puissances occultes
Comme
partout au Maroc, les berbères d'Outat et sa région, croyaient si
profondément en des puissances occultes. Les Imazighens de ces
contrées revendiquent leur islam sans oublier leur croyances
ancestrales ancrées depuis plusieurs siècles dans leurs âmes. Pour
eux les jnouns(Ait Rebbi) vivent dans un monde parallèle à celui
des humains.
Les
Ait Rebbi peuvent être bienveillants ou méchants. Ils sont dans la
croyance surtout féminine, omniprésents près de l'eau et du feu.
Ils vivent dans les puits, les fontaines, les seguias, les égouts et
dans les almessis ( réchauds). Les malheureux qui les dérangent
dans leur activité ou dans leur sommeil, sont, toujours selon ces
croyances, roués de coups ou frappés d'un mal mystérieux .
Pour
se prémunir contre ces dangers, les femmes évitent de provoquer «
ait rebbi » en s'abstenant de verser de l'eau chaude dans leurs
demeures, d'enjamber une seguia le soir. Des formules magiques sont
aussi prononcées comme « khamsa ou khmiss ». Elles usent également
de talismans, des amulettes et des fumigations. Les produits les plus
utilisés dans ces fumigations sont le fassoukh (mélange résineux
dégageant une odeur nauséabonde) ; le harmal est aussi employé,
mélangé à l'alun et au benjoin.
Le
deuxième danger, toujours selon les croyances de ces contrées, est
le mauvais œil. Un regard envieux ou jaloux peut provoquer divers
malheurs : fatigue, amaigrissement, accouchement prématuré, perte
d'un amoureux, divorce, faillite etc... Le mauvais œil, selon ces
croyances, peut toucher tout le monde : hommes et femmes, enfants et
vieillards. Les petits enfants, les jeunes mariés, la femme enceinte
seraient particulièrement vulnérable. Pour dévier la trajectoire
des regards malfaisants, les berbères usent des amulettes et des
talismans. Elles utilisent la main de fatma. Un autre procédé
largement utilisé consiste à mettre dans les jardins, à l'entrée
des maisons, sur les voûtes des portes des objets tels que le fer à
cheval( tissilt) ou une marmite noire( taqdouht ou tassilt). Le henné
et le tatouage étaient également utilisés pour repousser le
mauvais œil.
Le
culte des saints:
La
population d'Outat, comme les masses populaires rurales croyaient
obstinément au pouvoir d'intercesseur des marabouts (igouramenes)
dont la sépultures attirait des pèlerinages. L'Outat avait des
saints locaux et des saints régionaux.
Les
sépultures des locaux sont, au nombre d'une dizaine, concentrées
dans la vallée d'Outat : Sidi Youssef (à Tatiouine), Sidi Mohamed
Ouboubker (à Tisouit), Sidi El Mandri (à Berrem), Timrirt (à Tizi
n'Taoucht -Guerouane), Lalla Khadija et Sidi Othmane (à Bouzemella),
Sidi Mohamed Oulhaj (à Aït Ouafella), Sidi Mohamed (à Athmane Ou
Moussa), Ait Sidi Lahbib (Sidi Lahbib sidi El Maâti, Guerouane)
Moulay Abdelkader (à Tachaouit).
Les saints
régionaux avaient de leur vivants un ascendant sur les habitants
d'Outat. Il s'agit de Sidi Mohamed El Arbi, dont la sépulture est à
Assoul; et des Chorfas Hamzaoui dont le sanctuaire est à zaouiat
Sidi Harnza. Tous ces saints étaient, selon la tradition orale, de
leur vivant des hommes de bien (Salihines). Ils étaient de grande
piété, de vertu élevée, sages et souvent lettrés. Ils étaient
censés détenir , selon les croyances locales, un certain nombre de
dons surtout pour le soin des maladies mentales ; convulsions,
épilepsie, hystérie (leryah). On leur attribuait également le
pouvoir de régler les problèmes de cœur et d' intervenir dans la
stérilité et favoriser les ménages.
Le
sanctuaire des saints est un lieu de rencontre très important. On y
va en pèlerinage et on y sacrifie. Dans certains sanctuaires comme
celui de Lalla Khadija et Sidi Othmane, on pratiquait des transes
extatiques (hadra). Nous constatons que même aujourd'hui, ces saints
sont toujours sollicités pour leur «baraka». Il faut souligner
que l'Islam orthodoxe taxe ces pratiques d'associationnisme (cherk
billah). En effet dans l'Islam, il n'y a pas d'intercession entre
l'individu et Dieu.
En
plus de la médecine empirique transmise oralement, de génération
en génération, depuis la nuit des temps, il y avait dans l’Outat,
un autre courant médical traditionnel, la médecine du prophète
prodiguée par le taleb ou fquih. les remèdes qu’elle utilise sont
naturels tels que le miel, le nigelle, le hénné, le cresson
alénois, le séné, plus d’autres plantes spécifiques à la
région ( terrehla, touya nsem..). Le fquih utilise également des
moyens surnaturels, il est grand prescripteur d’amulettes et de
talismans.
Il
faut noter que la médecine moderne,même aujourd’hui encore, n’a
pas supplanté , loin s’en faut, la médecine traditionnelle,
puisqu’un nombre considérable d’enfants naissent toujours sur
les mains des accoucheuses traditionnelles , Qablates, et les
boutiques des herboristes ( âchabs) côtoient toujours les officines
modernes.
Installation
de la Médecine Moderne dans la ville de Midelt: Clin d’œil
Historique
Au
début du protectorat, l’un des rouages primordiaux de la
pénétration pacifique française était l’organisation d’un
système sanitaire dans tout le pays. Ce système était basé sur la
création de dispensaires dans les villes et des infirmeries
indigènes dans les campagnes. les régions insoumises étaient
parcourues par des missions militaires. Le médecin militaire avait
un rôle clé dans l’entrée française au Maroc comme en témoigne
les archives militaires françaises: “ les médecins militaires
pouvaient être les meilleurs agents de renseignement et les hommes
les plus aptes à gagner la reconnaissance des populations”
Dès
le début du protectorat, le résident général Lyautey insistait
sur le rôle du médecin dans la pacification du Maroc. Les éloges
qu’il faisait au médecin sont très nombreux: “ le toubib,
j’aime ce nom, celui la que donne les indigènes à ces médecins
aussi courageux que savants, aussi modestes que dévoués et qui
demeurent les meilleurs ouvriers de l’œuvre coloniale française”.
Il
a également dit: “ un médecin en campagne vaut un bataillon”
Tout était mis en œuvre pour faire accepter l’occupation.
Avant
l’entrée des français dans le moyen et le haut Atlas, il n’y
avait dans ces régions ni hôpital ni médecins. Les branches
salvatrices de la médecine, la prévention, l’hygiène et la
thérapeutique moderne étaient inconnues dans le Haute Moulouya
Orientale. Chez les Ait Izdeg, à l’époque, le malade ne se lavait
, ne rasait pas son crâne et ne touchait pas à l’eau avec ses
mains( 64). A cette époque au Maroc, la vaccination n’était pas
connue, aussi la variole et les maladies des mains sales : la
typhoïde, le choléra ainsi que le typhus exanthématique se
manifestèrent par des épidémies meurtrières.
Dès
leur arrivée à Midelt, les Français installèrent une infirmerie
indigène non loin de Ksar Athmane ou Moussa, Ksar Ikhremjioune ( là
,où il y a les pompiers aujourd’hui). En février 1924, le Dr Paul
Chatinière est affecté comme Médecin Chef sanitaire de Midelt où
il demeura jusqu’en 1928 ( voir annexes). A cette époque, selon
Geneviève Quiriny- Duckerts: “ Midelt comptait 2500 âmes” . En
cette période, selon le témoignage de Sœur Simone Bocognano: “
les européens, familles des militaires , des fonctionnaires et des
ingénieurs de la ville sont une centaine, groupés par mesure de
prudence, près des postes militaires ( la Strass de Tachiouine)”
Après
Rabat, Casablanca, Meknès, Fès, Marrakech, la petite ville de
Midelt accueille en 1926 , à la demande de l’aumônier militaire
Le Père Lucien Dané , six sœurs franciscaines. Les soeurs
s’occupaient de l’atelier de tissage qui venait d’être crée
en 1925 par l’épouse du Colonel protestant qui allait partir hors
de Midelt. Elles se mettaient également à soigner les malades dans
l’infirmerie indigène et à effectuer des visites à domicile.
Bien
avant la création de la tente itinérante par Sœur Cécile ( voir
annexes) , les premières sœurs franciscaines n’hésitaient pas
pour atteindre les ksour lointains à prendre le moyen de
locomotion
de l’époque: le mulet ou l’âne. Au fil du temps, les sœurs
avaient installé un orphelinat et un dispensaire près de la kasbah
Meryem.
La
population d’Outat qui était réticente au départ à accepter la
médecine moderne était vite conquise par ces étrangères qui
soignaient si bien par le peu de médicaments quelles avaient à leur
disposition et surtout, par leur sourire et leur baume humanitaire.
Les ksouriens avaient rapidement compris que ces étrangères qui
n’hésitaient pas à aider les nécessiteux et les malades des
casbahs étaient là pour les aider. Aussi, elles leur décernaient
affectueusement l’épithète de Timraboutines ( les saintes).
L’œuvre
sociale et médicale des sœurs franciscaines à Midelt continue
encore aujourd’hui avec la même ardeur des débuts. Elle est
toujours empreinte d’abnégation.
A
la fin des années 30, une véritable infirmerie s’est créée à
Midelt, non loin de la caserne militaire ( là où il y a
aujourd’hui, l’internat et le laboratoire de l’hôpital)
En
cette période, le Maroc a connu une sévère sécheresse et
l’épidémie de typhus avait touché pratiquement tout le pays.
Midelt, selon plusieurs témoignages, n’a pas été épargnée.
Disons
un mot sur cette maladie meurtrière qui tuait régulièrement nos
concitoyens avant la venue de l’antibiothérapie et de la
vaccination.
Le
typhus est une maladie bactérienne qui se transmet surtout par le
poux du corps humain et ce d’autant plus rapidement que les
conditions d’hygiène sont déplorables. Les médecins pratiquants
au Maroc au moment du protectorat la surnommaient la maladie de la
misère humaine. Le typhus s’épanouit à loisir au moment des
guerres, de la sécheresse et de la famine. Le typhus exanthématique
est une maladie très graves, les spécialistes avaient évalué sa
mortalité à 35%. Il se manifeste par un frisson, suivi par une
ascension brutale de la
température,
une céphalée atroce et constante, et l’évolution se fait vers la
prostration profonde, l’obnubilation et l’exanthème( éruption
généralisée sur tout le corps sauf la visage). Vers le dixième-
quinzième jour, le malade succombe dans le coma.
Les
antibiotiques et les insecticides pour tuer les poux n’arriveront
qu’après la deuxième guerre mondiale.. Les seuls solutions pour
enrayer l’expansion de cette redoutable maladie étaient
prophylactiques. Ils consistaient en : le repérage et la destruction
des foyers d’infection, en brûlant les couvertures, les nattes et
les vêtements, l’isolement des patients atteints,le rasage des
crânes, lavage à l’eau bouillante de leurs effets
Les
anciens Outatiens qui avaient vécu l’épidémie du Typhus au début
des années 40, n’oublient toujours pas les séances systématiques
d’épouillage effectuées dans leur ksars. Leur témoignages
concordent pour dire que les ksouriens supportaient mal ces séances
qu’ils trouvaient très humiliantes
En
1942-43, arrivait à Midelt le Dr Paul Chaubet qui empruntait son nom
à l’hôpital de 120 lits construit en 1952 non loin de
l’infirmerie ( voir annexes).
En
1948, le premier poste chirurgical est crée au Tafilalet par une
doctoresse hors pair, Dr Elisabeth La Fourcade, très connue dans la
région de Ksar Souk et de Midelt de l’époque par la «
sirurgiana ». Elle était la seule chirurgienne pour une population
de plus de 100.000 habitants répartie sur un territoire de 400 Km du
Nord au Sud, et presque autant de large. Elle desservit, en même
temps que l’hôpital de Ksar Souk les hôpitaux annexes Midelt et
Erfoud, à jours fixes, mais aussi pour répondre aux urgences
intransportables. ( témoignage de Dr Maxime Rousselle)
En
1947, le Dr Louis TONELLO est affecté comme médecin à Midelt, il
s’occupait de l’infirmerie et faisait des consultations
hebdomadaires au dispensaire de Mibladen. C’était lui qui avait
milité pour la reconnaissance de cette grave maladie qu'est la
silicose en tant que maladie professionnelle ( Voir chapitre des
mines). En 1953, ce grand médecin quitte Midelt pour Berkane, en
1956, il devint coopérant et fut nommé Médecin Chef de la région
d’Oujda, et de Juillet 1959 à 1956, il devint directeur de
l’hôpital d’Avicennes. Dr Tonello ne quitte le Maroc qu’en
1978.
En
1951, un autre grand médecin arrive à Midelt. C’est le Dr Maxime
Rousselle, mon grand ami du net, aujourd’hui âgé de 89 ans, et
toujours actif et derrière son clavier, dans tous ses messages, il
n’arrive jamais à oublier cette région de la Haute Moulouya qu’il
porte dans son cœur. Il est très connu par son bouquin, “le
toubib du bled”. Il avait servi à Tounfite et à Itzer, à côté
de La Fourcade et de Tonello avant d’aller à Rabat où il s’est
occupé du service d’hygiène jusqu’à son départ en 1975.
En
1965, une sœur franciscaine, surnommée la toubiba, prendra la
direction de l’hôpital de Midelt. Les anciens Mideltis, ont gardé
bonne impression de cette sœur qui avait servi avec abnégation.